Reforest’Action / Giuseppe Penone : Mémoire d’arbres
Toute l'actualité

Giuseppe Penone : Mémoire d’arbres

Forêts

Comment l’empreinte de l’homme se lit-elle dans la nature ? Est-ce la nature qui a besoin d’être sauvée par l’homme, ou l’homme qui a besoin de la nature pour survivre ? En réponse à ces interrogations, le sculpteur Giuseppe Penone défend une écologie centrée sur l’idée que la nature est dotée d’une mémoire, et que l’homme a un impact sur cette mémoire.

Né en 1947 en Italie, Penone est associé à l’Arte Povera, un mouvement artistique qui prône la sobriété dans l’art et réfléchit à la relation entre nature et culture. Et c’est bien ce dialogue entre le règne végétal et l’existence humaine que l’artiste explore à travers ses arbres sculptés, pièces les plus célèbres de son œuvre.

METAMORPHOSE

De son enfance à Garessio, petite commune du Piémont, Penone puise la source de son lien avec les arbres et leur puissance symbolique. Dès ses premiers travaux, il s’interroge sur la force de métamorphose qu’ont ces géants verts. C’est ce qu’il expérimente, dans la forêt de son village natal, au sein de sa sculpture « Il poursuivra sa croissance sauf en ce point » (1968). L’œuvre naît d’abord d’une photographie que Penone réalise de sa main en train de saisir le tronc d’un jeune arbre. Puis il réalise un moulage en bronze de sa main, qu’il fige dans l’arbre au même endroit. Il constate alors, au fil des années, que la croissance de l’arbre poursuit son cours, sauf à l’endroit de l’empreinte. L’arbre se souvient du contact, tout au long de sa vie, mais sa force vitale lui permet de continuer à croître malgré tout. Cette déformation de l’arbre reflète l’image même de l’impact qu’a l’homme sur la nature : sa présence n’est jamais invisible, jamais anodine.

Photographie de l'oeuvre "Il poursuivra sa croissance sauf en ce point"

VITALITE

L’arbre, en s’élevant pour chercher la lumière, échappe à la force de la gravité. Sa verticalité est le symbole de la vie, et la vitalité associée à l’arbre inspire Penone pour la réalisation de l’une de ses pièces maîtresses, le « Cèdre de Versailles » (2000-2003). Après la tempête de 1999, Penone achète et travaille un arbre du parc du château de Versailles, abattu par les intempéries. Il va alors creuser l’arbre en suivant l’un de ses cernes de croissance, jusqu’à retrouver l’aspect qu’avait celui-ci des dizaines d’années auparavant. L’artiste réalise le miracle de remonter le temps et de retrouver, au cœur même de l’arbre mature, le jeune arbrisseau qu’il fut alors. Il exhume ainsi le souvenir même de l’arbre encore vivant, au creux de l’arbre mort. Pour Penone, l’arbre est la sculpture parfaite, qui garde en elle la mémoire de son vécu.

Reproduction de l'oeuvre "Le Cèdre de Versailles", exposée au château de Versailles

MEMOIRE

L’arbre peut dès lors servir de modèle à la construction d’une œuvre mémorielle et éternelle. C’est le cas de « L’arbre des voyelles », la sculpture que Penone a installée au cœur du jardin des Tuileries, à Paris, en 1999. Moulage d’un chêne gisant au sol, la sculpture est faite non pas de bois mais de bronze, qui est, selon l’artiste, une fossilisation idéale du végétal. « L’arbre des voyelles » renvoie ainsi à l’image des grands fossiles conservant la mémoire d’espèces animales depuis longtemps disparues de notre planète. Le titre de l’œuvre, mystérieux au premier abord, semble faire signe vers cette légende de l'Egypte ancienne selon laquelle il existe une prière, le chant des voyelles, qui appelle ou exorcise les forces de la nature, celles-là même qui ont eu raison de l’arbre en le faisant tomber au sol. Mais l’arbre survit pourtant, ou du moins sa mémoire ici fossilisée, et délivre un message d’immortalité, comme si la Nature, invaincue, pouvait résister même au passage du temps.

Mémoire d’arbres, arbres de mémoire : les géants de nos forêts n’ont pas fini de nous surprendre et d’être transcendés en œuvres d’art. A travers ces sculptures, Giuseppe Penone explore leur âme et leurs souvenirs : ce qui, en l’arbre, est finalement très proche de l’être humain.

« Je remonte la mémoire de la forêt, une partie de la vraie mémoire de la forêt. L’exercice de la mémoire, le déplacement aveugle de la main sur l’écorce de l’arbre, la plasticité de la forêt dans sa formation. La plasticité de la terre qui reçoit l’empreinte du passé, absorbe la pression du pied comme l’arbre qui, en grandissant, absorbe l’empreinte de l’année de croissance de sa branche cassée. C’est ainsi que l’arbre se souvient de lui-même, il est la mémoire de lui-même. »

Giuseppe PENONE, 1978