Reforest’Action / En Amazonie, les communautés autochtones d’Équateur et du Pérou s’allient pour restaurer les Bassins Sacrés
Toute l'actualité

En Amazonie, les communautés autochtones d’Équateur et du Pérou s’allient pour restaurer les Bassins Sacrés

Projets
Reportages terrain

L’Amazonie et les savoirs ancestraux qu’elle renferme risquent de disparaître face à l’exploitation de la forêt pour ses ressources naturelles et sa conversion au profit de l’agriculture intensive. Lieu de vie de 1,5 million d’individus issus des peuples autochtones, qui dépendent directement de ses services écosystémiques pour leurs moyens de subsistance, elle abrite aussi 10% de la biodiversité terrestre et 20% des réserves mondiales d’eau douce. Située entre deux affluents de l’Amazone, de part et d’autre de la frontière entre l’Équateur et le Pérou, la région des Bassins Sacrés, réservoir de biodiversité le plus riche d’Amazonie, est particulièrement affectée par l’extraction du pétrole et la déforestation qui la précède. En visite dans les bureaux de Reforest’Action, Domingo Peas Nampichkai, leader du peuple amazonien Achuar, et Atossa Soltani, directrice de l’Amazon Sacred Headwaters Initiative, sont revenus sur l’urgence à préserver cette région essentielle à l’équilibre écosystémique de la forêt amazonienne, et sur l’ambition du projet conduit par une alliance d’organisations autochtones et auquel contribue Reforest’Action.

Les Bassins Sacrés, essentiels à l’équilibre écosystémique de la forêt amazonienne

Déforestée à 17%, l’Amazonie est proche de son point de bascule

La forêt amazonienne est l’une des trois plus grandes forêts primaires du monde, qui couvre 550 millions d’hectares, soit près de 5% de la surface terrestre. Elle abrite 20% des réserves mondiales d’eau douce à travers ses 6600 kilomètres de fleuves et de rivières, et 10% des espèces végétales et animales connues sur Terre. Elle compte également plus de 34 millions d’habitants, dont 1,5 million d’individus issus de 385 groupes ethniques distincts, qui dépendent directement des services rendus par la forêt – et notamment de ses sources en eau, de ses fruits, de ses baies et de ses plantes médicinales – pour leurs moyens de subsistance.

Menacée par l’extraction de ressources naturelles telles que le bois, le pétrole et les minéraux, mais également par l’agriculture industrielle, et notamment la culture du soja, du palmier à huile et l’élevage intensif de bétail, la forêt amazonienne s’approche du point de bascule. Si 17% du bassin amazonien a déjà été déforesté à ce jour, c’est tout l’écosystème qui s’effondrerait définitivement, sans possibilité d’être restauré, si ce taux atteignait 25%.

Sa destruction ne relève pas uniquement d’une problématique régionale. Dans le contexte actuel de la crise mondiale du climat et de la biodiversité, c’est bien l’ensemble de la planète qui est impactée par cette dégradation à grande échelle. Les centaines de milliards d'arbres du biome amazonien absorbent plus d'un milliard de tonnes de CO2 par an, soit environ 4% des émissions mondiales de combustibles fossiles, et jouent donc un rôle critique dans la stabilisation du climat planétaire. Or, des études récentes suggèrent que la déforestation est en train de convertir l'Amazonie en une source d’émission de carbone, puisque les arbres abattus relâchent davantage de CO2 que n’en absorbent ceux qui sont encore en place. Interviewé dans les bureaux de Reforest’Action, Domingo Peas Nampichkai, leader du peuple amazonien Achuar, insiste sur l’urgence de restaurer cet écosystème unique au monde : « Par ses fonctions de régulation du cycle de l’eau et de purification de l’air, l'écosystème amazonien est au cœur du monde. Sa préservation est l’affaire de tous. »

Les Bassins Sacrés : le réservoir de biodiversité le plus riche d’Amazonie est menacé par les industries extractives

Située entre deux affluents de l’Amazone, la rivière Napo (Equateur) et la rivière Marañon (Pérou), la biorégion des Bassins Sacrés, aussi connue sous le nom de Sacred Headwater en anglais ou de Cuencas Sagradas en espagnol, s’étend de part et d’autre de la frontière entre l’Équateur et le Pérou sur un territoire de 35 millions d’hectares, soit la superficie de la Californie. Réservoir de biodiversité le plus riche d’Amazonie, elle contient notamment plusieurs espèces animales endémiques et en danger critique d'extinction, dont le titi du Rio Mayo (Callicebus oenanthe) et le capucin équatorien à front blanc (Cebus aequatorialis). Elle contribue au maintien du cycle hydrologique des continents américains et à l’équilibre écosystémique de l’entièreté du bassin amazonien. Elle abrite également 600 000 personnes appartenant à 30 peuples autochtones, soit 20% de l’ensemble des populations autochtones d’Amazonie. Parmi eux, les Waorani, les Kichwa ou encore les Achuar, dont est issu Domingo Peas Nampichkai. « L’Amazonie est comme une mère nourricière pour les peuples autochtones. Elle est pour nous une source de nourriture, de remèdes, de sagesse », explique-t-il. « Nous sommes les fils et les filles de notre Terre-Mère, de notre Pachamama, et nous devons rendre l'aide que la forêt nous a donnée, et prendre soin d'elle à notre tour. »

La région des Bassins Sacrés est toutefois particulièrement touchée par l’exploitation pétrolière et la déforestation qui la précède. En dehors du parc Yasuni, aire protégée par le gouvernement équatorien, les industries extractives imposent leurs activités au sein même des territoires des populations autochtones. Non loin des Bassins Sacrés, la région de Lago Agrio reste ainsi profondément marquée par la plus grande marée noire de l’histoire de l’Équateur associée au pétrolier américain Chevron et sa filiale Texaco, à l’origine, entre 1967 et 1993, du déversement de plus de 73 milliards de litres de déchets toxiques en Amazonie équatorienne, entraînant des dommages irréversibles sur les écosystèmes naturels et les cultures, ainsi que des maladies mortelles au sein de la population locale, dues à la contamination de l’air, des eaux et des sols.

Or, les gouvernements péruviens et équatoriens, dont l’économie dépend encore fortement de l’exploitation pétrolière, n’envisagent aujourd’hui de protéger la région des Bassins Sacrés qu’à hauteur de 30% de sa superficie d’ici 2030. Un engagement estimé largement insuffisant pour les communautés autochtones qui y vivent et qui s’opposent quotidiennement aux industries pétrolières dont ils subissent les dégradations et les pollutions. « Nous avons un rêve », formule Domingo Peas Nampichkai : « celui de prendre soin de la forêt pour les générations futures – de mettre fin aux grands travaux routiers et à l’exploitation pétrolière, minière et forestière. »

Les peuples amazoniens s’allient pour protéger les Bassins Sacrés

L’Amazon Sacred Headwaters Initiative : une alliance inédite constituée d’acteurs autochtones

Dans ce contexte, une alliance inédite constituée d’acteurs autochtones, réunissant l'Association interethnique pour le développement de la forêt tropicale péruvienne (AIDESEP), la Confédération des nationalités indigènes de l'Amazonie équatorienne (CONFENIAE) et la Coordination des organisations autochtones du bassin amazonien (COICA), a joint ses forces à partir de 2017 avec l’objectif d’atteindre une protection des Bassins Sacrés à hauteur minimale de 80% de sa superficie d’ici 2025. « L'Amazon Sacred Headwaters Initiative est née comme une alliance de 30 nations autochtones de l’Amazonie équatorienne et péruvienne, décidées à travailler en solidarité et en coordination, avec une vision holistique, pour protéger de façon permanente la région des Bassins Sacrés, stopper l’avancée de l’industrie extractive, et redonner une place centrale au bien-être de la forêt et des peuples qui l’habitent », détaille Atossa Soltani, interviewée par Reforest’Action. Fondatrice et présidente de l’ONG Amazon Watch, elle est aujourd’hui directrice de la stratégie globale de l'Amazon Sacred Headwaters Initiative, aux côtés de Domingo Peas Nampichkai, qui en est le coordinateur et porte-parole officiel.

Un plan biorégional pour une transition vers un modèle écologique

Premier jalon du programme porté par cette alliance, un plan biorégional a été présenté lors de la COP 26 à Glasgow en novembre 2021 par une délégation issue des communautés autochtones amazoniennes. Élaboré avec le soutien de leurs anciens, appelés « sábios », ainsi que des chercheurs internationaux, ce plan combine la science aux connaissances ancestrales des peuples autochtones. Il vise à accompagner la transition de la région d’un modèle économique extractif, basé sur l’exploitation pétrolière, forestière et minière, vers un modèle écologique qui favorise la protection permanente des Bassins Sacrés, le bien-être des communautés amazoniennes et une gouvernance territoriale autochtone. Via neuf voies de transition, le plan prévoit notamment la restauration de 8 millions d’hectares de forêt détruite par l’industrie extractive, mais aussi le développement du tourisme communautaire, de l’agroforesterie et d’une économie régénérative.

Développer une économie régénérative au sein des communautés autochtones

Restauration forestière et promotion des systèmes agroforestiers traditionnels et durables

Au sein de cette initiative holistique, Reforest’Action soutient un projet pilote, sur 300 hectares, dédié à la restauration et à la préservation des écosystèmes, ainsi qu’au développement de l’agroforesterie et d’une économie régénérative au sein des communautés autochtones. Le projet est conduit sur le terrain par la Fundación Pachamama, une ONG équatorienne, de concert avec les peuples autochtones amazoniens, la CONFENAIE (du côté de l’Équateur) et l’AIDESEP (du côté du Pérou). Il s’inscrit également au sein de la Circular Bioeconomy Alliance, établie par Sa Majesté le Roi Charles III dans le cadre de son initiative pour des marchés durables alimentés par la nature.

« Les peuples autochtones vivent, se soignent, se nourrissent uniquement grâce à la forêt amazonienne », a pu observer Stéphane Hallaire, Président-Fondateur de Reforest’Action, lors de sa mission en Équateur en mars 2022 aux côtés de Marc Palahi, directeur du European Forest Institute et président de la Circular Bioeconomy Alliance (CBA). « Ils embrassent toute sa complexité et vivent à son rythme, à l’opposé des modes de vie occidentaux que nous connaissons. Il leur est vital de continuer à habiter cet écosystème extrêmement précieux. Il nous faut initier des projets d’envergure en collaboration avec ces communautés, qui sont garantes d’un savoir-faire unique et inestimable. »

C’est précisément l’objectif de ce projet financé par Reforest’Action, qui vise à promouvoir le système agroforestier traditionnel amazonien connu sous le nom de chakra. Le chakra amazonien est un véritable espace de vie synergétique entre les êtres humains, les animaux et les végétaux. Souvent géré par les femmes, il s’agit d’un lieu quotidien où les familles se réunissent pour travailler, apprendre, cultiver des ressources comestibles, se nourrir, récolter des plantes médicinales et des produits forestiers de façon circulaire et durable. Au sein de ce programme, l’accent sera ainsi mis sur la réintroduction et la préservation d’essences d’arbres natives comme le plantain et le yucca, ainsi que sur l’apport d’arbres fruitiers et d’essences créatrices de chaînes de valeur, telles que la vanille, la macambo, le patasmuyon, le cacao blanc et le guayusa. Les arbres seront entretenus par les communautés autochtones sur le long terme, qui en tireront des moyens de subsistance et des revenus complémentaires dans le cadre d’une bioéconomie circulaire et régénérative, fondée sur la nature.

Création d’une école de formation des communautés autochtones à la gestion durable des forêts

Reforest’Action a également financé la création de l'Escuela Viva Amazónica, qui a été inaugurée le 9 mars 2023 au siège de la CONFENIAE, dans la ville de Puyo, en Équateur. Cette école vise à former la jeune génération des communautés autochtones amazoniennes à la création de systèmes agroforestiers et à la gestion durable de forêts comestibles, ainsi qu’à faciliter la transmission des connaissances des anciens sur les plantes médicinales et l’ensemble de la culture amazonienne, de son Histoire à ses arts. L’ambition, à terme, est de faire émerger de nouveaux leaders issus des communautés autochtones amazoniennes afin qu’ils puissent agir, sur la scène internationale, pour la protection de l’Amazonie – à l’image de Domingo Peas Nampichkai, qui conclut : « Tous les êtres humains ont besoin de l'Amazonie et l'engagement doit être collectif. Les peuples autochtones ne résoudront pas le problème à eux seuls. Pour l'Amazon Sacred Headwaters Initiative, il est essentiel de créer des liens et d’intégrer les populations autochtones et non autochtones au projet. Nous réussirons en unissant nos forces et en travaillant tous ensemble. »