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Amazonie, Sibérie, Indonésie, zones boréales... Comprendre les feux de forêts selon leurs spécificités

Décryptages

Il y a quelques décennies, les feux de forêts naturels (c’est-à-dire non générés par l’Homme : dans le cas de la culture sur brûlis par exemple) étaient des phénomènes limités et qui se développaient dans des régions restreintes, particulièrement sèches et chaudes. Principalement causés par des évènements naturels tels que des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre, ces feux s’éteignent généralement d’eux-mêmes et sont plutôt faciles à maîtriser. Au XXIème le départ de ces feux représente une infime partie des incendies déclarés dans le monde : 2 % des incendies en zones méditerranéennes et 30 % au Québec, par exemple.

La majorité des feux aujourd’hui sont directement liés à l’Homme et à ses activités. Selon les données de la base nationale pour les forêts méditerranéennes françaises Prométhée, entre 1996 et 2006 en France, 39 % des départs de feux sont des actes de malveillance (chasse, pyromanie, pastoralisme, conflit d'occupation du sol) ; 23 % sont liés aux loisirs (feux d'artifice, barbecues, réchauds, mégots de promeneur ou jetés d'un véhicule) ; 21 % sont liés aux travaux forestiers ou agricoles et 9 % issus de cause accidentelle (dépôt d'ordures, lignes électriques, incendie de véhicules...). Ces feux – qui ne sont donc pas des phénomènes naturels – sont aujourd’hui accentués par le réchauffement climatique qui nourrit les incendies : selon Jöelle Zask, philosophe à l’Université d’Aix-Marseille et auteure de « Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique » : « L’augmentation des températures fait baisser le taux d’humidité, la végétation sèche et devient extrêmement inflammable. Les forêts sont aussi de plus en plus attaquées par des insectes ravageurs et des pathologies qui croissent avec la chaleur. »

Ces feux deviennent alors souvent des “méga-feux”, totalement incontrôlables et qui dévastent des centaines de milliers d’hectares. La multiplication de ces feux sur des périodes plus longues et plus systématiques engendrent alors des impacts socio-environnementaux très forts.

Un nouvel enjeu fort est lié à la capacité des feux de créer leur propre météo : les grands incendies provoquent une chaleur extrême et un grand panache de fumée qui, en s'élevant dans le ciel, interagit avec l'humidité de l'air pour former un nuage. Ces nuages appelés “pyrocumulonimbus” créent des orages de feu et contribuent à entretenir les feux. Les feux relarguent alors des quantités astronomiques de CO2 et de particules fines dans l'atmosphère, posant de réels problèmes de santé publique et de pollution.

Ces faits alarmants sont devenus quotidiens dans certaines parties du monde, particulièrement touchées par ces phénomènes : Amazonie, Europe du Sud, Amérique du Nord, Indonésie, Sibérie… Mais les enjeux ne sont pas les mêmes partout. Reforest’Action décrypte pour vous les raisons et les ressorts de ces incendies divers.

États-Unis : des feux de plus en plus importants

Aux États-Unis, les incendies d’origine humaine ont représenté 44% des départs de feux à l’échelle nationale sur les 36 millions d’hectares brûlés ces deux dernières décennies. Début juillet 2021, l’Ouest américain est déjà sujet à plus de 80 feux de grande ampleur. Le réchauffement climatique joue un rôle direct : températures élevées, sécheresses, attaques d’insectes… Les forêts sont malades, les écosystèmes fragilisés et donc plus vulnérables à des incendies.Ainsi en Californie, un arbre sur dix est victime d’agents pathogènes, de virus ou de champignons.

Les conséquences de ces feux sont terribles : pertes massives de biodiversité, accidents électriques, décès au sein des populations locales, pollution importante… Une étude réalisée par le PNAS a estimé que les incendies dans l'Ouest des États-Unis ont émis plus d'un million de tonnes de particules fines en 2012, 2015 et 2017, et presque autant en 2018 - année où un brasier à Paradise, en Californie, a tué 85 personnes et brûlé 14 000 maisons, générant un épais panache qui a recouvert des portions de la Californie du Nord pendant des semaines. Les résultats de 2017 et 2018 sont encore préliminaires.

Amazonie : soja, culture sur brûlis et enjeu politique

L’Amazonie fait face à des enjeux complexes. Dans cette partie du monde, le réchauffement climatique a des impacts notables sur les forêts et leur état de santé. Cependant, la culture (majoritairement de soja) et l’élevage de bétail sont les principaux responsables de l’embrasement de pans entiers de forêts. La déforestation est très forte dans cette région : les arbres sont coupés et les terres ensuite “nettoyées” grâce au brûlis.

Rômulo Batista, chargé de campagne pour l’Amazonie de Greenpeace Brésil explique : « L’élevage bovin extensif est le principal facteur de déforestation de l’Amazonie. Un peu plus de 65 % des terres déboisées en Amazonie sont aujourd’hui occupées par des pâturages ». En 2020, la déforestation en Amazonie a augmenté de 34,5 % : cette augmentation se répercute principalement sur les terres autochtones et les zones protégées (76 % et 50 % par rapport à juillet 2019).

L’arrivée au pouvoir du président brésilien Jair Bolsonaro aurait renforcé cette tendance en favorisant un climat d’impunité pour les éleveurs : l’agence indépendante Agência Pública estime que les amendes adressées aux responsables d’incendies illégaux ont diminué de 34 % en 2019 par rapport à 2018 et de 40 % en 2020 par rapport à 2019. Aussi, le gouvernement brésilien aurait fait de la déforestation un outil de relance pour faire face aux conséquences économiques du Covid-19.

Zones boréales : l’essor des feux zombies

Dans l’imaginaire collectif des incendies forestiers, les feux s’inscrivent dans une période et une zone géographique bien définies, aux conditions climatiques et environnementales extrêmes. Pourtant, dans les forêts boréales nordiques des feux d’hiver couvent. Entre 2002 et 2018, les feux d'hiver ont été responsables de 0,8 % de la surface totale brûlée ; toutefois, en une année (2018), cette proportion a atteint 38 % en Alaska, aux États-Unis et dans certains territoires du Nord-ouest canadien.

Rebecca Scholten, doctorante à l’Université d’Amsterdam et première auteure d’une étude sur le sujet explique : « les sols tourbeux des hautes latitudes contiennent beaucoup de matière organique, un combustible, et d’oxygène, qui entretient la combustion. La neige et la litière de mousse et d’aiguilles d’épicéas constituent, en outre, des barrières qui protègent ces incendies des conditions hivernales défavorables, comme la pluie ou l’excès d’humidité, et limitent les pertes de chaleur. »

Trois facteurs principaux sont identifiés comme facilitateurs de ces « incendies zombies » : les fortes températures en été qui génèrent des sécheresses et une saison des feux allongée ; les importantes superficies brûlées et enfin, les incendies profonds qui détruisent les sols, de 10 à 30 cm de profondeur. Ces trois phénomènes cumulés permettent au brasier de poursuivre sa combustion très lentement, même sous la neige. Ces évènements sont difficiles à appréhender à ce stade car la recherche commence tout juste à s’intéresser au phénomène et plus généralement, car il est difficile de prévoir l’essor de ces feux en grande partie dissimulés. Pourtant il y a urgence : en 2019, les incendies en Sibérie émettent autant de dioxyde de carbone que 36 millions de voitures.

De plus, une étude de l’Imperial College de Londres a démontré que le réchauffement climatique et la hausse des températures étaient directement en cause dans la multiplication des feux d’été en Sibérie arctique : la température a été en moyenne de cinq degrés plus élevés en 2020 que les années précédentes. Cette partie du monde se réchauffe deux fois plus vite que le reste du globe.

Indonésie : la déforestation en cause

L’Indonésie a connu ces dernières années d’énormes incendies, notamment à Sumatra et à Bornéo. Ces feux extrêmement polluants libèrent des quantités astronomiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère : en 2018, les feux de Sumatra ont généré autant de gaz à effet de serre que l’activité économique des États-Unis tout entier. En 2015, de nombreuses écoles ont dû être fermées et des vols annulés en raison des épaisses fumées qui se dégageaient de ces feux portés sur des centaines voire des milliers de kilomètres par les vents.

L’enjeu autour de ces feux réside dans les tourbières : la combustion de la tourbe, qui peut couver à basse température (et même pendant la saison des pluies) sous terre, libère du carbone et du méthane stockés depuis des dizaines ou des milliers d'années. Il s'agit donc d'un apport supplémentaire de puissants gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui ne pourront pas être absorbés à court terme.

En Indonésie, les incendies sont évidemment liés au réchauffement climatique et aux sécheresses, mais la déforestation joue également un rôle majeur. Le commerce de l’huile de palme, par exemple, conduit à un déboisement massif de certaines zones et favorise les catastrophes naturelles. Ainsi le Cirad souligne : « ces feux ont pour origine des cultures sur brûlis, des défrichements, des pratiques de chasse, et des habitudes bien ancrées de nettoyage agricole par les flammes. A Sumatra, le Cirad montre que la majorité de ces feux est déclenchée par ces pratiques agricoles traditionnelles d’écobuage. Celles-ci ont des conséquences très différentes sur des terres minérales ou sur des tourbières, dans lesquelles les fumées sont plus denses et nocives. » Le manque de barrière naturelle – détruite pour laisser place à l’agriculture ou à l’élevage – pour ralentir la propagation des feux est aussi en cause.

Europe du Sud : une région à risque

Des pays tels que l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, la Croatie ou le sud de la France sont fréquemment touchés par d’importants incendies. Dans ces régions, les températures élevées, les vents parfois violents et la sécheresse favorisent la propagation de ces feux. Dès 2007, le GIEC dans son rapport avait réalisé des projections pour 2091-2100 en se basant sur nos modes de vie actuels et estimait que tout le pourtour méditerranéen ferait face - avec l’augmentation des températures - à des feux de forêts d’une gravité extrême et très fréquents.

Ainsi en Espagne, les impacts sur la faune et la flore sont notables : combustion de biomasse, fragilisation des sols, réchauffement de l’eau et sédimentation. En termes de santé publique, la multiplication de ces feux devrait entraîner une altération des fonctions respiratoires et une augmentation du risque de cancer chez les populations méditerranéennes exposées.

Pour autant, certains experts assurent que la forêt méditerranéenne est dotée d’essences pyroclimaciques (dépendant de la présence du feu durant son cycle de reproduction) et donc adaptée aux incendies récurrents. Les feux détruiraient alors la végétation non-adaptée et permettraient d’assurer la stabilité et l’adaptabilité des écosystèmes. Le problème ici réside donc dans la multiplication et l’intensité des feux.

Lutter contre l'essor des feux de forêts dans le monde

Les enjeux liés à ces incendies sont aujourd’hui pris très au sérieux par les États qui développent de nombreuses politiques publiques pour tenter d’y faire face. En matière de sécurité et de santé - mécanisme de protection civile de l’UE ; Service de protection contre les incendies au Canada - mais aussi à l’échelle internationale. La lutte contre la déforestation (importée ou non) est une préoccupation qui doit mobiliser : à titre d’exemple, l’Union européenne a récemment été reconnue comme le deuxième importateur mondial de déforestation tropicale par le WWF et tente alors de réduire son impact, notamment au travers de mesures commerciales et productives plus contraignantes. Les entreprises agroalimentaires et celles qui les financent ont elles aussi un rôle à jouer en déployant de façon effective des stratégies visant à supprimer de leur chaîne de valeur les produits participant à la déforestation illégale.

Il est également possible de lutter contre ce fléau à échelle individuelle et cela passe en partie par la consommation. Comme l’indique le guide de sensibilisation de Reforest’Action, manger des produits labellisés éco-responsables est une première étape qui permettra de s’assurer que nos aliments ont été produits dans le respect des forêts (chocolat, viande, etc…). Vérifier la provenance des produits bois et papier est aussi un geste facile mais à impact fort pour protéger les forêts du monde.

Ensuite, éviter l’huile de palme en réduisant sa consommation de produits alimentaires industriels et transformés peut limiter l’impact de la déforestation, en Indonésie notamment. Elle n’est pas seulement destinée à l’industrie alimentaire, mais utilisée majoritairement pour produire des biocarburants. Une partie croissante des récoltes finit dans les réservoirs de nos voitures. Moins rouler et prendre plus souvent le train a donc également un impact. Manger moins de viande industrielle - plus particulièrement de bœuf - réduira les pressions faites sur la forêt amazonienne. En effet, la culture intensive du soja vise essentiellement à nourrir les animaux d’élevage dans le monde, y compris en Europe, et l’élevage de bétail (pour la viande et le cuir) accapare des pans entiers de terre dans cette région.