
1/ Pouvez-vous nous faire part de votre approche en tant que Senior Advisor Solutions Climat & Biodiversité ? Quel travail réalisez-vous auprès des entreprises ?
Mon travail consiste à engager les entreprises à participer à des projets de restauration, de préservation ou de régénération des écosystèmes (agro)forestiers afin de répondre concrètement aux problématiques liées au climat et à la biodiversité.
Je les encourage à développer des stratégies ambitieuses qui vont bien au-delà de la seule réduction de leurs impacts négatifs sur le vivant. En effet, l’ampleur des crises environnementales exige que nous allions encore plus loin et beaucoup plus vite. Les entreprises doivent davantage chercher à régénérer les écosystèmes naturels - ce qui signifie engendrer un impact positif net basé sur la preuve de l’efficience des modèles.
Je propose donc diverses solutions - à commencer par le développement de projets d’agriculture régénératrice mis en œuvre au sein des chaînes de valeur des entreprises. Ils permettent d'engendrer une réelle transformation de leurs modes de production. Nous croyons que nous avons besoin de ceci pour atteindre les objectifs décidés sur le plan international en matière de climat et de biodiversité.
Toutes les entreprises n’ont pas de lien direct avec le vivant mais des solutions créatives sont néanmoins envisageables pour toutes. Elles peuvent aussi participer à d’autres types de projets répondant à des demandes spécifiques : pour implanter des forêts urbaines, contribuer à la neutralité carbone globale, ou tout simplement financer des projets forestiers.
Nous travaillons ainsi avec de nombreuses entreprises : +3000 entreprises, cette dernière décennie ! En ce qui me concerne, je collabore avec des acteurs issus du « secteur du Luxe ».

2/ Vous développez des projets d’agriculture régénératrice. Pouvez-vous illustrer votre intervention à travers un exemple d’actions menées sur un territoire ?
Oui. Nous avons développé plusieurs projets d’agriculture régénératrice et la mesure d’impact au sein de plusieurs vignobles de prestige. Nous avons collaboré avec des entreprises telles que Hennessy, Veuve Clicquot Ponsardin ou Krugg. Nous avons par exemple expérimenté diverses techniques depuis 2021 dans le cadre d’un projet-pilote mené avec la Maison de champagne Ruinart[1]. Il intègre les méthodes de la « vitiforesterie » - c’est-à-dire l’application des techniques d’agroforesterie à la vigne.
Le projet repose sur des process typiques de l’agriculture régénératrice et engendre ainsi de nombreux bénéfices multifonctionnels.
D’abord, l’agriculture régénératrice cherche à régénérer la « santé des sols » avec un double objectif d’atténuation et d’adaptation. Elle aide aussi à préserver l’eau et à sauvegarder la biodiversité. Par exemple, des haies plantées au cœur et tout autour des vignes contribuent à limiter les dérives aériennes de produits phytosanitaires néfastes pour le vivant. Elle cherche aussi plus globalement à atténuer le changement climatique.
Les arbres en particulier permettent de réguler le climat. Ils aident à faire baisser la température de plusieurs degrés. Ils peuvent participer à limiter les gelées ou les sécheresses. Ils agissent aussi comme des haies face au vent protégeant alors les vignes dans un rayon de quelques mètres. Par ailleurs, l’expérience montre que des corridors écologiques établissent des liaisons entre différentes zones sauvages au travers des champs et des vignes.
Enfin, ce projet de vitiforesterie permet de recréer les paysages traditionnels qui ont disparu ! De surcroît, aidée par le développement des sciences, cette pratique ancienne remontant à l’Antiquité apporte des bénéfices socio-économiques. D’un point de vue sociétal, une telle régénération répond aux besoins croissants des consommateurs d’avoir un produit de qualité tout en ayant un impact minimal sur les ressources naturelles. D’un point de vue économique, un gain de productivité́ en biomasse a été observé grâce à l’agencement de certaines espèces d’arbres et de vignes, par exemple.

3/ En quoi cette agriculture « régénératrice » est-elle bénéfique pour les entreprises ?
La vitiforesterie permet d’offrir à la fois des rendements, des intrants et des ressources qui sont optimisés - et non pas maximisés.
Les pratiques conduisent non seulement à favoriser une résilience des systèmes devant l’instabilité climatique mais aussi à garantir une plus grande santé et vitalité pour les communautés agricoles et pour les parties prenantes. De plus, elles engendrent des retours économiques substantiels.
L’agriculture régénératrice repose souvent sur le fait d'expérimenter dans des contextes précis des pratiques existantes déjà validées par ailleurs, et de les fonder sur des objectifs de résultats. On parle ainsi souvent d’agriculture à impact. Dans le cadre de nos projets, nous pouvons alors viser différents objectifs tels que la contribution carbone, la promotion de la biodiversité, ou la santé du sol, par exemple. Différentes méthodes sont choisies pour privilégier la restauration, la préservation ou la régénération des écosystèmes, par exemple.
Nous considérons aussi qu’avec l’agriculture régénératrice, il est légitime de rechercher la maximisation des profits à long terme. Nous ne cherchons pas à l’obtenir par le biais de la maximisation des rendements – ceci relevant de l’état d'esprit de l’agriculture dite conventionnelle. Il s’agit davantage d’optimiser les rendements, les intrants et les ressources, afin de développer des modèles à la fois plus rentables et plus soutenables que notre système actuel.

4/ Plus largement, vous considérez donc qu’une économie régénérative est possible ?
Oui, au-delà de l’agriculture, c’est la conception même de nouveaux types de modèles économiques pour les entreprises qu’il faut désormais considérer. Nous pensons que l’entreprise doit soutenir les dynamiques du vivant - au lieu de les détruire. Elle doit cesser d’être un agent exploiteur et destructeur des ressources. La régénération permet aussi à l’entreprise de se renouveler elle-même, de devenir plus résiliente et de renouer avec les résultats souhaités.
L’entreprise régénératrice va donc au-delà des traditionnels critères RSE qui sont trop centrés sur la réduction des impacts négatifs et des externalités. Et la régénération n’est pas un sujet limité au département RSE. Elle est un sujet qui doit s’intégrer dans tous les métiers et irriguer toutes les actions de l’entreprise. Elle demande d’adopter une approche systémique, de valoriser une conception locale et un design bioinspiré. Elle repose aussi sur la volonté de nourrir les coopérations et les relations au sein des écosystèmes.
Au quotidien, cet engagement n’est pas toujours aisé ! Je suis évidemment confrontée à une certaine forme de complexité propre à chaque organisation. Régénérer est en effet un acte qui demande de concilier : intelligence collective, coopération, créativité, ouverture, innovation et éthique !
Nos échanges et nos projets en collaboration avec les entreprises témoignent de cette prise de conscience !
[1] « La vitiforesterie au sein de la Maison de champagne Ruinart : pour la régénération des écosystèmes », Le Mag’, Reforest’Action, https://www.reforestaction.com/blog/la-vitiforesterie-au-sein-de-la-mais...
Crédits photos : Maison Ruinart et Mathieu Bonnevie.