
En tant que Directeur du Bureau d’Études de Reforest’Action, pouvez-vous nous expliquer dans quelle mesure le design de projet en matière de vitiforesterie se construit en concertation avec les parties prenantes ?
La mise en place de projets de vitiforesterie doit impérativement se faire en concertation avec les parties prenantes, en particulier avec les équipes techniques du vignoble. En effet, chaque projet est unique. Il vise à chaque fois à apporter une véritable plus-value - en termes environnemental, bien sûr mais aussi aux plans paysager et social.
L’enjeu consiste à intégrer une diversité de structures végétales naturelles (haies, arbres isolés, ilots arbustifs, brise-vents…) au sein d’un système très codifié et sur un foncier de haute valeur, où chaque mètre carré est compté.
Le design d’un projet vitiforestier repose ainsi sur l’équilibre entre une viticulture qui doit rester productive et le retour à une naturalité ayant à impact positif sur la biodiversité, la vie des sols, la purification de l’air, la régulation de l’eau…
La vocation première d’un vignoble reste donc toujours la production de raisins. Notre rôle consiste à concilier cet objectif avec les indispensables réponses que nous devons apporter aux enjeux de notre temps - perte de biodiversité et réchauffement climatique.
Dans cet esprit, nous entretenons un dialogue permanent avec les équipes du vignoble et acceptons la mécanisation non comme une contrainte mais plutôt comme une simple donnée de base parmi d’autres - que nous prenons sérieusement en considération.
Inutile, par exemple, de suggérer la plantation d’un arbre à six mètres du rang si nous savons qu’un tracteur enjambeur a besoin, à cet endroit précis, de sept mètres pour effectuer un demi-tour !
Champagne, Cognaçais, Bordelais… : chaque région, chaque vignoble a ses spécificités et ses pratiques, auxquelles il nous appartient de nous adapter avec humilité. Bien sûr, l’objectif reste toujours le même : maximiser les services écosystémiques au bénéfice de l’environnement mais aussi du vignoble lui-même.
Le design de projet vise à obtenir une série de bénéfices. Pouvez-vous nous présenter les apports de la vitiforesterie ?
1/ A l’échelle de la parcelle, on peut distinguer trois types de bénéfices :
Les bénéfices environnementaux : les haies et les arbres vont procurer habitats et nourritures pour de nombreuses espèces (insectes, reptiles, petits mammifères, oiseau) qui avaient déserté les vignobles intensifs monospécifiques. Tout un équilibre naturel est ainsi recréé. Il inclut de nombreux prédateurs, utiles face aux ravageurs de la vigne.
Les bénéfices agronomiques : les haies et les arbres participent à l’amélioration de la qualité du sol, apportent un humus naturel, favorisent les échanges hydriques, luttent contre l’érosion et le ruissellement de l’eau par exemple.
Les bénéfices bioclimatiques : judicieusement implantées, les plantations vitiforestières ont un effet non négligeable sur le stress des cultures confrontées aux variations extrêmes du climat ; elles permettent de tempérer les extrêmes, de limiter l’effet du vent, de réduire les effets du gel, ou des canicules estivales.
De nombreux bénéfices écosystémiques se trouvent encore accentués à l’échelle de l’exploitation, en particulier lorsque la vitiforesterie permet de fragmenter les parcelles et de récréer une continuité écologique entre elles, voire à les reconnecter avec leur environnement naturel (avec une forêt proche, par exemple). Plus le territoire est large et intégré, plus il sera possible d’y apporter une plus-value environnementale. De plus, à partir d’une certaine échelle, on pourra parler de création significative de puits de carbone, permettant de lutter contre le réchauffement climatique, mais aussi d’un véritable impact paysager.
2/ A l'échelle de l'exploitation, on peut distinguer quatre types de bénéfices :
Une diversification des productions : du bois d’œuvre, du bois énergie et du Bois Raméal Fragmenté (BRF), des fruits.
La recréation d’une fertilité et d’une biodiversité in situ : l’arbre est un réel allié dans la restauration des sols viticoles. L’apport de matière organique sous la forme de feuilles et racines voire de bois broyé est un atout majeur dans l’enrichissement du sol, sans oublier que le système racinaire profond de l’arbre décompacte le sol et réduit les potentielles asphyxies. La vie du sol s’en retrouve stimulée et les humus se stabilisent. La présence d'arbre dans une parcelle a un impact fort sur l’abondance de lombrics en raison de la présence d’enherbement, et sur l’abondance de certains taxons microbiens.
La lutte naturelle contre les ravageurs : l’agroforesterie apporte une diversité botanique et une strate de végétation supplémentaire créant de nouvelles niches écologiques. Les arbres permettent d’améliorer la lutte biologique par conservation ou amélioration de l’habitat.
Une image positive d'un domaine viticole ou d'une appellation : les arbres permettent de réduire leur impact sur l’environnement.
3/ A l'échelle du territoire, la vitiforesterie engendre deux types de bénéfices principaux :
Le stockage du carbone : les arbres sont de réels puits de carbone. Ils permettent non seulement d’atténuer les effets du changement climatique mais participent également à recapitaliser les sols en carbone.
La biodiversité : tous les éléments arborés sont d’excellentes sources d’habitats pour tout un cortège floristique et faunistique. Un très bon moyen de restaurer des corridors écologiques et de contribuer aux objectifs de la Trame Verte et Bleue.
Quelle expertise apportez-vous, par exemple concernant le choix précis des essences ?
Nous apportons divers types d’expertise. Celle du choix des essences est assez caractéristique de notre travail.
En effet, le choix des essences s’impose d’abord naturellement en fonction de leur adaptation à la station - en particulier à la nature du sol, souvent d’une grande typicité en région viticole. Ensuite, on recherchera toujours la plus grande diversité possible afin de maximiser la ressource en matière de nourriture et d’habitats pour la faune.
Le potentiel de croissance et l’aptitude à la taille représentent également des éléments à prendre en compte pour limiter l’encombrement et permettre une bonne cohabitation avec la vigne.
Une attention particulière sera aussi portée aux effets indésirables potentiels, il ne s’agirait pas d’importer dans un vignoble des pathologies pouvant affecter la vigne. Ainsi, des essences susceptibles d’être affectées par des pourridiés racinaires, ou des rouilles similaires à la rouille de la vigne, seront-elles systématiquement proscrites.
Enfin, même si ce n’est pas le critère majeur, la cohérence paysagère et l’intégration dans l’univers très cartésien de la vigne sont étudiées. Souvent une essence dominante est-elle sélectionnée afin de construire le cadre esthétique du projet. A cette essence, pouvant représenter 40% du nombre total de plants, nous greffons sept à dix essences complémentaires en moyenne permettant d’assurer la nécessaire diversité.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de points de vigilance à avoir lorsqu’on construit un projet de vitiforesterie et dans quelle mesure pouvez-vous être suffisamment souples pour pouvoir affronter d’éventuels aléas ?
Nous veillons à apporter un design de projet solide tout en nous adaptant sans cesse.
Implanter des arbres dans un vignoble n’est pas sans conséquence. Il devient essentiel d’étudier attentivement le design du projet afin d’éviter la concurrence avec la vigne et les effets indésirables, comme :
- Le problème de l’ombrage est un premier élément à prendre en considération. Cet ombrage sera directement lié à l’axe d’orientation de la haie. Par exemple, une haie axée Nord-Sud ne sera pas trop impactante, alors qu’une structure Est-Ouest privera totalement de soleil jusqu’à six rangs de vigne, ce qui n’est pas supportable. Au-delà de la plantation, c’est la hauteur des végétaux, et donc l’entretien futur, qui devra être réfléchi. A certains endroits, des haies ou bandes boisées hautes ne seront pas problématiques, alors qu’à d’autres endroits, il conviendra d’effectuer une taille régulière, ce qui n’est pas sans conséquence sur la charge de travail des équipes du vignoble.
- La concurrence hydrique est un autre problème potentiel, dont l’acuité varie selon la distance entre la haie et les vignes, et selon l’essence choisie et ses particularités racinaires. Notons que là aussi, la taille peut apporter des solutions puisque les besoins hydriques d’une plante sont directement proportionnels à son développement aérien.
- Il peut exister d’autres problématiques liés au vignoble lui-même, telle une concurrence pour l’occupation du sol dans un foncier limité. Il peut aussi s’agir de respecter davantage certaines réglementations en vue de rester dans le cadre des contraintes de l’appellation donnée - la densité minimale de pieds de vigne à l’hectare, notamment. A cela s’ajoute la prise en compte de la conduite opérationnelle du vignoble, sachant qu’il n’y a pas de négociation possible concernant la question de la machine qui nécessite six mètres pour opérer un demi-tour, et pas un centimètre de moins !
Chez Reforest’Action, nous disposons donc d’une large palette d’expertise et veillons à proposer une forme de design de projet à l’écoute des besoins des parties prenantes.
Les techniques de la vitiforesterie, et plus globalement de l’agroforesterie, s’expérimentent toujours en toute humilité sur le terrain en testant des techniques et en recherchant les approches les plus adaptées au contexte local.