Reforest’Action / Lutte contre la déforestation importée : la loi européenne est urgente et nécessaire
Toute l'actualité

Lutte contre la déforestation importée : la loi européenne est urgente et nécessaire

Actualités

Alors que la Commission européenne a proposé, fin septembre 2025, un nouveau report d’un an de l’entrée en vigueur du règlement européen contre la déforestation (RDUE), Reforest’Action rappelle l’urgence de lutter contre la déforestation importée au sein de l’Union européenne, et d’agir collectivement en faveur de la protection et de la restauration des forêts mondiales. Ces actions, toutes deux nécessaires, fourniront ensemble une part significative de la réponse à la crise du climat et de la biodiversité.

Un contexte mondial alarmant : l’engagement non tenu de la fin de la déforestation

Depuis une quinzaine d’années, les engagements internationaux qui prônent l’urgence de la préservation de l’environnement - et font de la forêt un maillon central - se sont multipliés, à l’instar du Défi de Bonn (2011), de la Déclaration de New York sur les forêts (2014), du rapport du GIEC de 2018 et de la Déclaration de Glasgow de 2021, au travers de laquelle les dirigeants de plus de 140 pays se sont engagés à enrayer et à inverser la déforestation d’ici 2030.

Pourtant, malgré ces engagements, la planète a perdu 6,7 millions d’hectares de forêts tropicales primaires en 2024 d'après le World Resources Institute – soit près du double du chiffre enregistré en 2023. Au total, 8,1 millions d’hectares de forêts ont disparu dans le monde l’an dernier, une surface équivalente à la moitié de l’Angleterre. Cela représente une hausse de 5 % de la perte de couvert forestier par rapport à l’année précédente.

Pour respecter l’objectif mondial de zéro déforestation d’ici 2030, il faudrait réduire la perte de forêts de 20 % par an, et ce dès maintenant. Parce que les engagements volontaires sont insuffisants, l’instauration d’un cadre juridique contraignant apparaît aujourd’hui indispensable.

L’Union européenne, un acteur majeur de la déforestation importée

La déforestation importée désigne l’importation de biens agricoles ou forestiers produits au détriment d’écosystèmes naturels. Les principales commodités concernées sont le soja, l’huile de palme et la viande bovine, suivies des produits du bois, du cacao et du café. Les impacts de cette consommation se concentrent principalement en Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Paraguay) et en Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie).

causes-deforestation.png

D’après le rapport Quand les Européens consomment, les forêts se consument du WWF, les importations de l’UE ont provoqué la déforestation de 3,5 millions d’hectares entre 2005 et 2017, soit 1,8 milliard de tonnes de CO2 – l’équivalent de 40 % des émissions annuelles de l’UE.

Bien que la déforestation associée à ses importations ait diminué d’environ 40 % entre 2005 et 2017, l’UE est toujours responsable de 16 % de la déforestation associée au commerce international en 2017, soit un total de 203 000 hectares et de 116 millions de tonnes de CO2. Seule la Chine (24 %) devance l’Union européenne, suivie par l’Inde (9 %), les États-Unis (7 %) et le Japon (5 %).

Au-delà de l’enjeu climatique, la déforestation importée porte atteinte aux droits des communautés locales et des peuples autochtones, dont les territoires sont souvent convertis en terres agricoles. Elle est également associée à au moins un tiers de la perte de biodiversité mondiale (IBPES Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services, 2019).

Les engagements volontaires : une décennie d’initiatives insuffisantes

Face à ce constat, de nombreuses initiatives ont vu le jour au cours de la dernière décennie. Des déclarations internationales aux engagements “zéro déforestation” du secteur privé, ces approches, basées sur le volontariat, ont montré leurs limites. En 2024, le rapport Deforestation- and conversion-free supply chains du CDP révèle que peu d’entreprises parviennent à assurer la traçabilité complète de leurs chaînes d’approvisionnement. Or, pour être conformes à une trajectoire climatique compatible avec +1,5 °C, les entreprises auraient dû éliminer toute déforestation et conversion d’écosystèmes de leurs chaînes d’approvisionnement d’ici 2025, et atteindre la zéro conversion d’ici 2030.

La Stratégie nationale française de lutte contre la déforestation importée (SNDI), adoptée en 2018, a constitué un premier jalon. Elle vise à mettre fin, d’ici à 2030, à l’importation de produits agricoles ou forestiers liés à la déforestation. Mais seule une régulation européenne, cohérente et contraignante, peut garantir un changement d’échelle.

deforestation-importee-france.png

Loi européenne contre la déforestation : une avancée majeure, mais fragilisée par les reports

Le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), voté en 2022 et adopté le 9 juin 2023, marque une étape historique. Il vise à interdire la mise sur le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation forestière après le 31 décembre 2020. Le champ d’application du texte couvre sept commodités : café, cacao, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf et bois, ainsi que certains produits dérivés comme le cuir, le charbon de bois, le papier imprimé.

Des exigences fortes de traçabilité et de transparence

Le règlement demande aux entreprises concernées de garantir que les produits exportés et mis sur le marché européen comportent un risque nul ou négligeable de déforestation. Elles devront notamment :

  • géolocaliser précisément l’origine des produits jusqu’aux parcelles de production ;
  • démontrer la légalité des produits dans le pays d’origine et l’absence de lien avec la déforestation et la dégradation des forêts ;
  • mettre en œuvre une diligence raisonnée avant leur mise sur le marché.

Ces dispositions visent à instaurer une nouvelle norme : celle de chaînes d’approvisionnement durables et traçables.

Un dispositif robuste, perfectible sur certains points

Selon le WWF, le texte constitue une base solide, mais plusieurs améliorations restent nécessaires :

  • intégrer dès le départ tous les écosystèmes naturels, y compris les savanes, zones humides ou mangroves, autant de biomes souvent exclus du champ d’application ;
  • élargir la couverture à tous les produits dérivés pertinents selon des critères scientifiques ;
  • garantir le respect des droits humains, notamment le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones ;
  • éviter les dérogations telles que la diligence simplifiée pour certains pays ou entreprises.

deforestation-indonesie.png

Des retards préoccupants

Initialement prévue pour entrer en vigueur fin 2024 (et mi-2025 pour les PME), cette loi a été repoussée une première fois à fin 2025, puis à fin 2026, à la suite d’une nouvelle proposition de la Commission européenne en septembre 2025.

Ce double report, justifié par un manque de préparation des États membres et des opérateurs, compromet la dynamique d’action enclenchée.

Pour Reforest’Action, il est crucial que les institutions européennes confirment rapidement la date d’application du règlement et accompagnent sa mise en œuvre, plutôt que de la différer encore. Chaque année perdue est une année de déforestation évitable.

Agir collectivement pour des chaînes de valeur sans déforestation

La loi européenne constitue une avancée majeure, mais elle ne suffira pas sans une mobilisation de l’ensemble des acteurs économiques et politiques. Les entreprises, en particulier, jouent un rôle déterminant dans la transition vers des chaînes d’approvisionnement durables.

Le zéro déforestation ni conversion ne doit plus être un objectif lointain, mais une exigence immédiate. Les produits agricoles et forestiers ne peuvent être considérés comme « durables » que s’il est démontré qu’ils proviennent d’unités de production n’ayant pas entraîné de conversion d’écosystèmes naturels depuis la date limite du 31 décembre 2020.

La réussite du RDUE dépendra de :

  • la transparence des chaînes d’approvisionnement ;
  • la coopération entre pays producteurs et importateurs ;
  • la formation et le soutien des petits producteurs, souvent les plus vulnérables face aux nouvelles exigences ;
  • une mise en œuvre rigoureuse et des sanctions effectives pour les contrevenants.

Enfin, la lutte contre la déforestation importée doit aller de pair avec une stratégie de restauration des forêts dégradées et de développement de projets d’agriculture régénératrice au sein même des chaînes de valeur des entreprises.

cacao-zero-deforestation.png

La loi européenne contre la déforestation importée n’est pas seulement un instrument juridique : c’est un levier de transformation systémique. Elle traduit la reconnaissance, par l’Union européenne, de sa responsabilité dans la déforestation mondiale et de son pouvoir d’action pour y mettre fin. Reporter son entrée en vigueur revient à différer une solution déjà prête à être mise en œuvre, alors même que les signaux d’alerte se multiplient. Face à l’urgence climatique et écologique, Reforest’Action appelle à maintenir le cap, à accélérer la mise en œuvre du RDUE et à soutenir les acteurs économiques dans cette transition vers des chaînes de valeur plus responsables. Vous souhaitez faire évoluer vos pratiques liées à la production de vos matières premières pour pérenniser vos approvisionnements et répondre à vos enjeux RSE ? Contactez-nous pour en discuter !