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Pierre Hermans : "La forêt européenne est multifonctionnelle par nature"

Décryptages

Si les forêts européennes ne font pas face aux mêmes enjeux que ceux des forêts tropicales, elles n’en sont pas moins affectées par des phénomènes de dégradation, induits, notamment, par le changement climatique. Quels rôles tiennent aujourd’hui les forêts européennes dans nos vies et à quels défis font-elles face ? Pourquoi faut-il les restaurer pour assurer leur pérennité et leur multifonctionnalité ? Pierre Hermans, consultant et spécialiste des projets européens pour Reforest’Action, partage son expertise et rappelle que la recherche permanente de l’équilibre forestier est ce qui fait tout l’intérêt de son métier.

La forêt européenne a-t-elle partout le même visage ?

PIERRE HERMANS - La forêt européenne est à l’image du Continent, et des peuples qui le composent : multiple et variée. Du Nord de la Scandinavie au Sud du Portugal, on ne trouve bien-sûr pas les mêmes structures végétales, les mêmes paysages, les mêmes méthodes de gestion. Vastes forêts sombres de résineux, ou massifs clairsemés de chênes liège, le contraste peut être saisissant. Pourtant, au-delà des différences dues aux caractères physiques et géographiques – altitude, climat, hydrologie, géologie… -, toutes ces forêts ont un point commun : elles ont été façonnées, ou fortement influencées, par l’homme au cours des siècles. On ne trouve d’ailleurs (presque) plus de forêts primaires en Europe, sans que ce soit le fruit d’une destruction massive et brutale ; l’évolution s’est faite progressivement, ou par paliers, et pour bon nombre d’Européens, l’image de la forêt se rapproche plus des futaies de Colbert que de la jungle amazonienne.

Quels rôles joue-t-elle dans nos vies et à quels défis fait-elle face ?

PIERRE HERMANS - Corolaire de la relation historique entre la forêt et les peuples européens, de la forte segmentation du continent et de sa densité de population, la forêt européenne est, plus que d’autres dans le monde, multifonctionnelle par nature. Ce qui signifie qu’au-delà de tous les services environnementaux qu’elle rend (capture du CO2, biodiversité, épuration de l’air et de l’eau…), elle assure également des fonctions essentielles au niveau économique (production de bois, tourisme), social (emploi, mais aussi loisirs, ressourcement…) et paysager (nous aspirons tous au silence et à la beauté, non ?). Personnellement, je suis très attaché à cette multifonctionnalité, et je ne conçois pas une forêt sanctuaire, réservée aux seuls scientifiques, dans laquelle l’homme ne serait pas le bienvenu.

Les défis auxquels fait face la forêt européenne ne sont pas ceux que l’on rencontre en Amérique du Sud, en Asie ou en Afrique : au sens strict, l’Europe n’est pas sujette à la déforestation, la couverture forestière globale ayant même tendance à augmenter de manière régulière dans la plupart des régions, et ce depuis la seconde moitié du XIXème siècle. La situation n’est pour autant pas idyllique : le changement climatique est perceptible, il fragilise de nombreux massifs forestiers, il amplifie la fréquence et l’intensité des phénomènes tels que tempêtes, incendies, attaques d’insectes ou d’agents pathogènes… L’élévation de la température et, surtout, la multiplication des épisodes de sécheresse, mettent en péril la survie de certaines essences sous certaines latitudes. Il est probable, par exemple, que le hêtre disparaisse peu à peu de certaines forêts dont il constituait pourtant l’essence dominante ou, dans le même ordre d’idées, que nous ayons à faire face à des incendies estivaux au Nord de la Loire, dans un futur proche.

Pourquoi faut-il planter et régénérer des forêts en Europe ?

PIERRE HERMANS - Comme dans beaucoup d’autres domaines, la résolution d’un problème global se construit avant tout au niveau local. La lutte contre les conséquences du réchauffement climatique nécessite d’agir rapidement, et partout où c’est possible. Dans ce contexte, l’Europe a indiscutablement son rôle à jouer. Au-delà de la séquestration de CO2, certains bénéfices écosystémiques et sociaux ne sont perceptibles que sur le plan local, ce qui justifie nos actions au profit des forêts européennes. De plus, ces actions locales ont le pouvoir de sensibiliser le grand public, et d’obtenir son adhésion dans le cadre d’opérations plus globales.

La stratégie adoptée par Reforest’Action conjugue des actions de plantation, là ou le couvert forestier est inexistant ou insuffisant, et des interventions visant à assister et enrichir la régénération naturelle en place. Bien-sûr, le programme sera différent suivant qu’il s’agit d’augmenter la couverture forestière d’un pays insuffisamment boisé comme l’Irlande, de restaurer une forêt incendiée au Portugal, ou d’enrichir des taillis improductifs en Italie.

Est-il pertinent de développer plus largement l’agroforesterie en zones tempérées ? Quels en seraient les bénéfices ?

PIERRE HERMANS - L’agroforesterie est incontestablement le complément indispensable de notre travail pour la préservation des forêts. Elle permet d’apporter à des milieux non-forestiers tous les avantages prodigués par les arbres en matière de biodiversité, de lutte contre l’érosion, d’amélioration des sols. Cette pratique prend tout son sens en milieu agricole ou viticole, où l’intégration de haies et d’arbres au cœur des zones de culture permet d’obtenir une production plus naturelle, limitant les intrants chimiques, réduisant les conséquences des phénomènes climatiques (vent, gel…), améliorant les caractéristiques agronomiques des territoires.

Au-delà de ces avantages environnementaux et, à terme, économiques, l’agroforesterie permet aussi de restructurer les paysages et de rétablir le maillage écologique qui avaient été peu à peu dégradés par les pratiques d’agriculture intensive mises en place après la seconde guerre mondiale. A mes yeux, cette faculté de redessiner les paysages à grande échelle n’est pas la moindre des vertus.

Une forêt durablement gérée en Europe, qu’est-ce que c’est ?

PIERRE HERMANS - La gestion durable, particulièrement en Europe, est selon moi une gestion équilibrée, qui donne une importance égale à toutes les fonctions et à tous les utilisateurs de la forêt, qui respecte la nature et assure sa pérennité sans en exclure personne. Personnellement, je ne voudrais pas d’une forêt fragmentée, sanctuaire botanique d’un côté, usine à bois de l’autre. Je suis persuadé que la mixité est possible : celle des essences, celle des fonctions, celle des publics. Cette recherche permanente de l’équilibre, c’est ce qui fait tout l’intérêt et la beauté de notre métier.

Pierre Hermans collabore depuis cinq ans avec Reforest’Action en qualité de consultant, spécialiste des projets européens. Son rôle est d’identifier, d’évaluer et de mettre en œuvre des projets de reforestation ou de restauration de forêts dégradées dans toute l’Europe, et parfois au-delà. Il bénéficie pour cela du soutien et des compétences du pôle forêt de Reforest’Action. Il apporte également un support technique dans l’élaboration et le suivi de projets agroforestiers.
Parallèlement, il est le fondateur (1994) et manager de Sylva Nova, un cabinet international de consultance effectuant de nombreuses missions relatives à la forêt et à ses enjeux, pour le compte de propriétaires forestiers privés, mais aussi d’organismes de certification, d’Organisations Internationales (ONU, FAO, IUCN…) d’ONG (Jane Goodall Institute)… et de Reforest’Action.
A titre personnel, il est également expert des Nations Unies (UNECE) en tant que membre permanent du groupe de travail chargé d’évaluer les ressources forestières mondiales ; membre du Conseil d’Administration de FSC Belgique ; et membre de la Chambre Economique Hémisphère Nord de FSC International.