Du 10 au 21 novembre 2025, la 30ᵉ édition de la Conférence des Parties sur le climat s’est tenue à Belém au Brésil. Situé au cœur de l’Amazonie, l’événement devait être celui de « la mise en œuvre des engagements ». Au terme de quinze jours de négociations, de mobilisations et d’initiatives scientifiques ou citoyennes, le bilan est contrasté : des progrès tangibles dans certains domaines, mais aussi des rendez-vous manqués et une ambition globale jugée insuffisante face à l’urgence climatique. Quels axes structurants sont à retenir pour les années à venir ? Décryptage.

Avancées notables et zones d’ombre persistantes
Un objectif financier global consolidé entre Bakou et Belém
La COP30 s’inscrit dans la continuité des travaux engagés à la COP29 : l’objectif de mobiliser 1 300 milliards de dollars par an d’ici 2035, formulé à Bakou dans le cadre du Nouvel Objectif Chiffré Collectif (NCQG) sur la finance climat, a été confirmé et structuré à Belém.
Cet objectif vise à aligner les flux financiers mondiaux avec les besoins réels de la transition. Il ne renvoie pas à un fonds unique, mais à un effort global impliquant financements publics, multilatéraux, privés et instruments financiers innovants. Il couvre l’ensemble des priorités climatiques — atténuation, adaptation, pertes et dommages, solutions fondées sur la nature et transition énergétique — et répond à un constat clair du bilan mondial : les financements climatiques actuels restent très en deçà des besoins, estimés à plusieurs milliers de milliards de dollars par an à horizon 2030.
Le triplement des financements dédiés à l’adaptation
L’une des annonces les plus structurantes de la COP30 concerne l’adaptation. Les États se sont accordés sur le triplement des financements d’ici 2035 pour soutenir la résilience des territoires, la protection des populations vulnérables et le développement d’infrastructures adaptatives. Cette décision s’inscrit pleinement dans l’objectif des 1 300 milliards dollars par an : elle renforce l’un des volets les plus sous-financés de la transition, indispensable pour soutenir la résilience des pays les plus vulnérables.
Pour les investisseurs et les institutions financières, cette évolution ouvre de nouvelles perspectives : intégration renforcée du risque climatique physique dans les stratégies d’investissement, montée en puissance des projets de résilience territoriale, opportunités croissantes dans les infrastructures vertes, la gestion des ressources en eau ou la restauration écologique…
Cet engagement répond à une réalité désormais incontestable : l’adaptation est devenue un pilier central de la stratégie climatique mondiale, au même titre que l’atténuation du changement climatique.
De nouvelles initiatives pour accélérer la mise en œuvre
Ces ambitions financières s’inscrivent dans un dispositif plus large destiné à accélérer l’exécution des engagements pris par les États. Deux instruments structurants en constituent les piliers :
- L’Accélérateur mondial de la mise en œuvre, qui vise à appuyer concrètement les pays dans l’exécution des Contributions Déterminées au niveau National (CDN) et des plans nationaux d’adaptation grâce à une assistance technique renforcée et un meilleur accès aux financements ;
- La Mission de Belém vers 1,5 °C, plateforme d’action internationale destinée à structurer la coopération internationale portée par la troïka COP29–COP31, à renforcer l’ambition climatique et à mobiliser les investissements nécessaires pour maintenir une trajectoire compatible avec 1,5 °C.
Ces deux initiatives ont été créées, nommées et lancées officiellement dans le cadre du Belém Political Package adopté à la COP30. Elles visent à réduire l’écart entre ambition et action, en articulant orientation financière, capacités opérationnelles et coopération internationale.
Le lancement du Tropical Forests Forever Facility
La COP30 a également été marquée par l’annonce officielle du Tropical Forests Forever Facility (TFFF), un mécanisme appelé à devenir un fonds mondial de préservation des forêts tropicales. Porté par le Brésil, le dispositif vise à inciter financièrement les pays disposant de vastes couvertures forestières tropicales à en assurer la conservation, en mobilisant à terme jusqu’à 125 milliards de dollars au travers d’une structure hybride combinant financements publics et privés.
La déclaration de lancement du TFFF a reçu le soutien de 53 pays, dont 19 investisseurs souverains potentiels — essentiellement des gouvernements et institutions publiques — parmi lesquels figurent notamment la Norvège, le Brésil, l’Indonésie, la France ou encore les Pays-Bas. Plusieurs annonces majeures ont déjà été formulées, comme l’engagement de près de 3 milliards de dollars de la Norvège, offrant une première ossature financière au dispositif.
Pour autant, de nombreux paramètres restent à préciser. Le TFFF repose sur un modèle encore inédit — fondation dotée, paiements conditionnés à la conservation — et ses modalités de gouvernance, de suivi, de traçabilité et d’implication des communautés locales et autochtones doivent encore être consolidées. Ainsi, si le TFFF marque une avancée symbolique significative pour la protection des écosystèmes tropicaux, son succès dépendra de sa capacité à démontrer rapidement sa crédibilité opérationnelle auprès des investisseurs, des pays forestiers et des acteurs de terrain.
Pour Stéphane Hallaire, président de Reforest’Action, « l’impact le plus déterminant du fonds pourrait provenir de ses investissements — s’ils contribuent réellement à faire émerger une économie régénérative. Avec 125 milliards de dollars, le TFFF pourrait aider les pays bénéficiaires à engager une transition vers un modèle économique respectueux des limites planétaires, à condition de ne pas négliger les causes profondes de la déforestation ni la transformation indispensable des pratiques agricoles ».
Fonds pour pertes et dommages : un mécanisme encore fragile
Créé politiquement à la COP27 et rendu opérationnel à la COP28, le fonds pour pertes et dommages vise à soutenir les pays les plus vulnérables face aux impacts irréversibles du changement climatique — ceux qui dépassent les capacités d’adaptation, tels que la destruction d’infrastructures, la perte de terres ou les déplacements forcés. Malgré son importance stratégique, ce mécanisme demeure fragile : ses modalités d’accès, sa gouvernance et ses sources de financement restent encore en consolidation.
La COP30 a mis en évidence un double constat. D’une part, les ressources mobilisées à ce stade restent très en deçà des besoins estimés – les estimations internationales indiquent en effet que les pertes et dommages dans les pays vulnérables pourraient atteindre 290 à 580 milliards de dollars par an d’ici 2030. D’autre part, les pays vulnérables continuent de souligner la complexité des procédures et l’incertitude quant au caractère réellement accessible et pérenne du fonds.
En l’absence d’engagements additionnels significatifs et d’une architecture pleinement stabilisée, le fonds apparaît ainsi encore sous-dimensionné et limité sur le plan opérationnel, alors même que les pertes et dommages s’intensifient. Pour les acteurs publics comme privés, cette situation illustre l’un des défis majeurs de la gouvernance climatique : assurer un financement rapide, prévisible et adapté pour répondre à des impacts qui ne cessent de croître.
Énergies fossiles : un blocage persistant
Malgré l’urgence climatique rappelée à plusieurs reprises dans les rapports scientifiques et les évaluations du Bilan mondial, la COP30 n’a pas réussi à dégager un consensus sur un calendrier de sortie des énergies fossiles. Si de nombreux pays — en particulier les États insulaires, plusieurs pays européens et une partie du secteur financier — ont plaidé pour une mention explicite du « phasing-out », les négociations ont été freinées par l’opposition de puissants pays producteurs et par des divergences géopolitiques accrues.
Il en résulte un texte affaibli sur ce point, qui réaffirme l’importance de la transition énergétique sans la traduire en engagements contraignants. Ce blocage illustre l’écart persistant entre les trajectoires compatibles avec 1,5 °C et les choix politiques actuels, et renvoie aux acteurs économiques et financiers le signal que la transformation du système énergétique reposera, dans l’immédiat, davantage sur les dynamiques de marché, l’innovation technologique et l’évolution des stratégies d’investissement que sur un cadre international pleinement défini.
Clarification des priorités internationales : les axes structurants pour les années à venir
Renforcer les indicateurs, la transparence et la gouvernance des engagements
La COP30 marque le début d’un cycle où la valeur d’un engagement climatique ne se mesure plus à son ambition déclarative, mais à sa capacité d’exécution. L’accord final appelle explicitement à une révision renforcée des Contributions Déterminées au niveau National (CDN) dès 2026, avec des attentes nettement accrues en matière de précision, de quantification des trajectoires et de cohérence sectorielle.
Pour les États comme pour les entreprises, cette évolution se traduit en trois axes majeurs :
- Un passage à des indicateurs standardisés et comparables. Les négociateurs ont insisté sur la nécessité de construire un socle commun méthodologique permettant d’évaluer l’impact réel, et non simplement l’effort déclaratif. Dans les années qui viennent, les États, les banques publiques, les investisseurs privés et les bailleurs vont ainsi exiger des entreprises des données climatiques beaucoup plus précises, détaillées et vérifiables pour accéder à certains financements.
- Une pression réglementaire qui s’intensifie. L’alignement progressif entre cadres nationaux et régulations internationales (CSRD, ISSB, TNFD) obligera les organisations à documenter non seulement leurs émissions, mais aussi leur dépendance aux écosystèmes, leur exposition au risque physique, leurs impacts sur les services écosystémiques et leur résilience dans différents scénarios climatiques. Les directions financières, juridiques et RSE sont désormais co-responsables de la conformité climatique.
- Une gouvernance renforcée et un pilotage stratégique du climat. Les États sont encouragés à introduire des mécanismes de contrôle plus stricts : audits, reporting régulier, comités nationaux de suivi, obligations de résultats et mécanismes de correction. Pour les acteurs privés, cela se traduit par la nécessité de disposer d’un comité climat au niveau du conseil d’administration, des objectifs validés scientifiquement (SBTi) pour être crédibles, des plans de transition chiffrés avec budgets associés, ainsi qu’une traçabilité complète couvrant scope 1, 2, 3, biodiversité et risques physiques.
Territoires, communautés et gouvernance : une transition juste et inclusive
La COP30 réaffirme le rôle essentiel des territoires et des communautés dans la mise en œuvre climatique, en soulignant l’importance des droits fonciers, des savoirs locaux et d’une gouvernance partagée intégrant pleinement les peuples autochtones et les populations locales dans la conception, la décision et la supervision des projets.
Face à la diversité des vulnérabilités, l’échelle locale devient un levier d’efficacité opérationnelle, capable d’identifier les risques spécifiques, de prioriser les solutions adaptées et d’ancrer l’action climatique dans les réalités socio-économiques. Pour être considérés comme crédibles et acceptables, les projets doivent ainsi répondre à la fois aux standards internationaux et aux attentes territoriales.
Enfin, la COP30 rappelle que la transition climatique ne peut réussir que si elle est juste et inclusive, ce qui implique un partage équitable de la valeur, la protection des populations les plus exposées et le développement de compétences locales — des exigences désormais centrales pour les investisseurs et déterminantes pour la confiance des parties prenantes.
Finance climatique : crédibilité, traçabilité et intériorisation du risque
Le financement climatique reste le point d’achoppement central de la gouvernance climatique mondiale. Pour autant, la COP30 a clarifié les attentes et offert des signaux nets au secteur financier :
- L’obligation de crédibiliser les engagements financiers. Le triplement des financements destinés à l’adaptation doit s’accompagner d’une définition précise des modalités d’allocation, des critères d’éligibilité et de la mesure de performance. Pour les acteurs financiers, la finance climatique ne pourra plus être déclarative et devra démontrer un impact quantifiable, vérifiable, comparable.
- L’émergence d’un nouveau paradigme : la valorisation des risques physiques. La COP30 acte un changement majeur : les impacts physiques du changement climatique ne sont plus considérés comme des aléas secondaires, mais comme des facteurs clés de performance financière. Ils influencent désormais directement la rentabilité des projets et la capacité des acteurs à maintenir leur solvabilité dans la durée.
- Transparence et lutte contre l’écoblanchiment. La pression s’intensifie pour mettre fin aux allégations climatiques non fondées. Les investisseurs devront être capables de démontrer la traçabilité de leurs investissements, la robustesse des modèles de quantification d’impact, l'intégrité des projets soutenus, et la conformité avec les cadres internationaux (ICVCM, VCMI, TNFD). La tendance réglementaire va vers une exigence croissante de preuves documentées.
La confirmation du rôle stratégique des Solutions fondées sur la Nature
La localisation amazonienne de la COP a catalysé les discussions sur les Solutions fondées sur la Nature (SfN). Leur rôle est désormais pleinement reconnu dans les stratégies nationales comme dans les trajectoires de décarbonation volontaire ou réglementaire. Elles doivent permettre de séquestrer du carbone, de renforcer la résilience des territoires face aux chocs climatiques, de préserver la biodiversité et de stabiliser durablement les sols et les ressources hydriques. Leur contribution est majeure, mais elle demeure complémentaire : même déployées à grande échelle, les SfN ne sauraient compenser à elles seules la poursuite de l’augmentation des émissions fossiles.
C’est pourquoi la transition appelle une approche hybride, articulant simultanément trois piliers :
- la décarbonation opérationnelle, en s’appuyant sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et l’innovation industrielle ;
- la restauration écologique, indispensable pour renforcer les puits naturels de carbone et la résilience des écosystèmes ;
- les technologies de captation et de stockage, nécessaires pour traiter les émissions résiduelles les plus difficiles à éliminer.
Ce triptyque, largement confirmé lors de la COP30 à Belém, constitue le socle des trajectoires climatiques compatibles avec les objectifs internationaux.
Pour être pleinement efficaces, ces leviers doivent être intégrés de manière cohérente dans les politiques publiques comme dans les stratégies d’entreprise. Cela implique l’inclusion explicite des SfN dans les CDN, les politiques agricoles, les plans d’adaptation, les stratégies d’urbanisation et les cadres de certification internationaux. Du côté du secteur privé, l’enjeu est de dépasser les démarches ponctuelles pour structurer des programmes d’investissement ancrés dans les territoires, alignés sur des standards d’intégrité élevés, et porteurs de bénéfices climatiques, sociaux et économiques mesurables. Seule cette articulation entre ambitions nationales, dynamiques locales et stratégies industrielles permettra d’accélérer la transition à la hauteur des enjeux.
Pour Reforest’Action, cette dynamique confirme une conviction clé : les Solutions fondées sur la Nature constituent un levier climatique et économique incontournable, mais elles doivent être mobilisées avec rigueur et transparence.

La COP30 n’a pas répondu à toutes les attentes, mais elle marque une transition majeure : l’entrée dans une décennie où la valeur se mesurera à l’impact réel, à la capacité d’adaptation et à la crédibilité des engagements. Pour Reforest’Action, cette COP confirme plusieurs convictions fortes :
- la nature est un pilier indispensable de la réponse climatique,
- la qualité et l’intégrité des projets sont des prérequis incontournables,
- la transparence et la mesure d’impact conditionnent la confiance,
- l’articulation entre atténuation, adaptation et biodiversité doit guider l’action climatique.
Dans un contexte de transformation rapide, nous réaffirmons l’importance d’une approche scientifique, rigoureuse et locale de la restauration des écosystèmes. Parce que l’avenir ne dépend pas seulement des engagements pris, mais de la capacité collective — États, investisseurs, entreprises et acteurs de terrain — à les concrétiser.