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Comment engager son entreprise dans une démarche régénérative avec la forêt ? Telle était la question posée lors du panel organisé par Reforest'Action qui s’est tenu dans le cadre du Salon Produrable, ce mardi 13 septembre 2022, à Paris.

11/10/2022 - Violaine de Reforest'Action


Catégorie: 

entreprise - économie - régénératif - donut - régénération - regenerative - Chaîne de valeur - industrie - green economy - soutenabilité

"Comment engager son entreprise dans une démarche régénérative avec la forêt ?", telle était la question centrale posée lors de cet atelier bénéficiant d'expertises d'ordres à la fois très pratiques et conceptuels. 

Dans ce cadre, Stéphane Hallaire - Président fondateur de Reforest’Action, Frédéric Dufour - Président de la Maison Ruinart et Bertrand Thuillier - Chargé de recherche-action chez Lumia et expert de l’économie régénérative, ont présenté les fondements et les objectifs d’une démarche régénérative, ainsi que les processus à développer.

De nombreuses questions ont d'abord été soulevées :

  • pourquoi s’engager en faveur d’une démarche régénérative ?
  • comment agir dans le cadre de sa chaîne de valeur, sa filière et son territoire avec la forêt ?
  • et comment créer de la valeur autrement ?

Puis, grâce au dialogue entretenu par les trois intervenants, plusieurs réponses ont ainsi pu être dessinées. En effet, "engager son entreprise dans une démarche régénérative avec la forêt" suppose notamment d'envisager certaines options :

1° Avoir une ambition régénérative pour son modèle économique ;

2° Promouvoir le vivant au cœur de chaque action, de chaque décision et de chaque pratique de l’entreprise ;

3° Intégrer la forêt dans sa stratégie d’entreprise au sein et/ou en dehors des chaînes de valeur ;

4° Bénéficier aussi de différentes approches régénératives adaptées aux entreprises n’ayant pas de lien avec le vivant ; 

5° Redonner le plein potentiel aux écosystèmes.

 

1. Avoir une ambition régénérative pour son modèle économique 

L’objectif d’un modèle économique régénératif consiste d’une part à proposer une nouvelle création de valeur qui puisse répondre à des enjeux d’ordres socio-écologiques. En effet, l’idée d’une économie régénérative s’inscrit dans le contexte de conséquences liées aux « limites planétaires » [1] qui sont progressivement atteintes. Elle part du constat qu'une société ne peut valablement se développer et prospérer dans un environnement écologique dégradé. Un système économique ne peut pas non plus durablement fonctionner et se développer dans un corps social dégradé.

L'économie régénérative vise ainsi, selon Bertrand Thuillier, à réintégrer l'espace entre « un plancher social  et un plafond écologique » - se référant ici à la fameuse « Économie du Donut » de l’économiste Kate Raworth :

Le diagramme de la Théorie du Donut

De plus, la régénération apporte une façon de penser fondamentalement nouvelle. Elle est ancrée dans une vision du monde centrée sur les systèmes vivants. Elle signifie créer les conditions qui permettent à la vie de se renouveler et de prospérer d’une façon soutenable. Dans cette perspective, on distingue alors deux approches de la soutenabilité : 

1. Une soutenabilité faible reposant sur l’hypothèse de l’indépendance et de la substituabilité entre les sphères économique et environnementale -  configuration propre à la conception du modèle du « développement durable ».  Or, comme l'a affirmé Stéphane Hallaire, « il ne faudrait plus que la question du social soit considérée comme indépendante de celle de l’environnement, car elles sont bien liées ! ».

2. Une soutenabilité forte signifie que le système économique est dépendant des sphères sociale et biophysique. La substituabilité entre les sphères est limitée. Bertrand Thuillier utilise ainsi l'expression de « régénération socio-écologique ». Celle-ci consiste : à mettre la vie et le vivant au centre de chaque action et chaque décision, à soutenir et à dynamiser la vie sous toutes ses formes - humaine et non-humaine, et à améliorer la capacité des systèmes socio-écologiques à fournir les services écosystémiques dont ils sont porteurs. Le développement régénérateur va ainsi plus loin que l'approche typique du modèle du développement durable. En effet, l’économie régénérative vise non seulement à inverser la dégénérescence mais aussi à créer des impacts positifs. En ce sens, une entreprise dite durable cherchera simplement à réduire et éventuellement à compenser par la suite ses externalités négatives. En revanche, une entreprise régénérative visera consciemment un impact socio-écologique positif. 

2. Promouvoir le vivant au cœur de chaque action, de chaque décision et de chaque pratique de l’entreprise

Une entreprise régénérative promeut le vivant au cœur de chaque action, de chaque décision et de chacune de ses pratiques. D’ailleurs, Stéphane Hallaire l'a souligné : « agir pour les forêts, c’est agir pour le vivant ! » En effet, la forêt est au cœur des modèles de sociétés soutenables dans la mesure où elle constitue le socle du vivant. De plus, elle offre de nombreux services écosystémiques : premier puits de carbone terrestre, elle représente une solution naturelle pour le climat ; 80% de la biodiversité terrestre sont abrités en forêt ; 25% de la population mondiale dépendent directement de la forêt ; 75% de l’eau douce accessible aux activités humaines viennent des forêts. Ces services ont une portée multifonctionnelle d’ordres culturel, économique, sociale et écologique. 

Selon Bertrand Thuillier, la régénération mobilise alors deux dimensions :

1. le fait de renouveler les ressources,

2. mais aussi le fait de permettre aux écosystèmes de se réparer ou de retrouver leur équilibre par eux-mêmes – là où la « restauration » fait davantage appel à une réparation mise en œuvre par l’humain. Au contraire, la régénération cherche à générer, dans toutes les actions d’une entreprise, une création de valeur plurielle - à la fois économique, environnementale, sociale et sociétale. Il ne s’agit pas tant de « réparer » un milieu que de recréer les conditions lui permettant de prospérer via sa dynamique propre, en permettant aux systèmes vivants d’exprimer leur potentiel latent et d’apporter ainsi ce potentiel au monde. 

3. Intégrer la forêt dans sa stratégie d’entreprise au sein et/ou en dehors des chaînes de valeur

L’économie régénérative engendre le fait d'intégrer le vivant dans sa stratégie d’entreprise. C'est dans cet état d'esprit que Reforest’Action est intervenue en Champagne auprès de la Maison Ruinart. Elle a opéré à la fois au sein et en dehors de ses chaînes de valeur :

1. Premièrement, elle a développé un projet-pilote d’agriculture régénératrice au cœur de son propre vignoble. Depuis plusieurs années, la Maison Ruinart est impliquée de manière globale dans la lutte contre le changement climatique, et notamment dans le cadre de la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre à travers des actions auprès de ses vignes. Frédéric Dufour - président de la Maison rappelle que l'entreprise s’est engagée en faveur d’une agriculture régénératrice afin de trouver une réponse au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. La régénération via la plantation d’arbres autour et au cœur de la parcelle a ainsi été intégrée progressivement à la stratégie de l’entreprise. Depuis 2020, un projet-pilote est mené par la Maison Ruinart en Champagne - grâce à l’expertise en "vitiforesterie" de Reforest’Action - c’est-à-dire "l’application des techniques d’agroforesterie à la vigne". Il conduira d’ici 2023 à la plantation de 20 000 arbres d’essences variées - soit 500 arbres par hectares sur 40 ha. Tous les salariés de la maison et les vignerons partenaires ont aussi été impliqués ! Une entreprise régénérative est en effet souvent fondée sur des relations de coopération avec les parties prenantes, dont elle bénéficie et qu’elle récompense en pariant sur le collectif et la diversité. La régénération présuppose donc non seulement une réarticulation au vivant, mais aussi la mise en œuvre d’un ensemble de pratiques de design et d’ingénierie écologique ancrée dans le contexte local.

2. En outre, d’autres projets ont été développés - en dehors des chaînes de valeur. Ils ont permis d'une part la régénération de la forêt de Montbré à Taissy en Champagne pour le territoire et en coopération avec les parties prenantes, grâce à la restauration et l’enrichissement de la biodiversité forestière, la plantation d'arbres et d’arbustes sur 17 ha dont une lisière étagée en interface avec le vignoble. Ce projet a apporté de nombreux bénéfices : développement de la biodiversité, création d’un maillage entre la forêt et les vignes au niveau des paysages, et remise en valeur du patrimoine que constitue le Fort de Montbré. D'autre part, des projets ont été menés en dehors des chaînes de valeur par le biais de la contribution à la restauration de forêts de chêne liège (matières premières des bouchons de champagne) au Portugal , permettant la régénération d’écosystèmes en lien avec l’activité. Grâce à la plantation de 270 000 arbres d’essences variées, les parcelles détruites à cause de très violents incendies ont alors été « restaurées » … ou plus exactement « régénérés » ! 

Cet exemple présenté par la Maison Ruinart illustre ainsi une double approche envisageable pour une entreprise qui souhaiterait "intégrer la forêt à sa stratégie dans le cadre d'une approche régénérative" :

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4. Bénéficier de différentes approches régénératives adaptées aux entreprises n’ayant pas de lien avec le vivant 

Pour les entreprises n’ayant pas de lien avec le vivant, Bertrand Thuillier - chargé de recherche-action chez Lumia et expert de l’économie régénérative - confirme que plusieurs approches régénératives complémentaires sont aussi envisageables. Ce centre expert a en effet proposé une classification des entreprises en fonction de la nature de leurs activités et de leurs potentiels qui permetteraient de renforcer l’entreprise dans ses projets de régénération. Elles peuvent :

5. Redonner le plein potentiel aux écosystèmes 

En conclusion, Stéphane Hallaire a souligné à quel point le fait régénératif signifiait « redonner le plein potentiel aux écosystèmes ». Engager son entreprise dans une démarche régénérative avec la forêt permet en effet de délivrer des "services multifonctionnels". Bertrand Thuillier a également rappelé la nécessité pour une entreprise régénérative de tenir compte de « services sous-jacents » fournis par la forêt, concernant par exemple : 

  • l’approvisionnement (le liège pour les bouchons de champagne par exemple), 

  • les aspects culturels (comme la chasse ou l’accrobranche au sein des forêts), 

  • les services de régulation (comme celle de l’eau), 

  • les services de soutien (le rôle de la photosynthèse par exemple), notamment. 

Enfin, Stéphane Hallaire a souligné l’intérêt de l’approche régénérative dans la mesure où elle prend en compte toute la complexité des métiers, des contextes, et de l’importance croissante de développer des modes de coopération avec les parties prenantes. Ce souci de développer des approches et des indicateurs de suivi « au plus près du terrain » et des différents contextes est en effet d’une grande importance, comme l’a confirmé Frédéric Dufour.

 


[1] Johan Rockström (Auteur), Owen Gaffney, Greta Thunberg (Préface), Breaking the Limits, The Science of Our Planet, mai 2021. Neuf processus biophysiques renvoient aux neuf limites planétaires. Ils régulent la stabilité de notre planète : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité́, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, l’introduction de nouvelles entités dans la biosphère. 

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